Directeur conseil chez Axance, Olivier Wolton mène de nombreuses missions en Thaïlande pour le compte du leader mondial de l’assurance. Diplômé de sociologie et conseil en marketing digital, il revient aujourd’hui sur les différences culturelles qui font la particularité de l’ecommerce thaïlandais.

De la conception webdesign aux parcours utilisateur, notre expert nous dresse un portrait comparé des habitudes de consommation web au pays du sourire.

 

Quelle est la différence entre un internaute thaïlandais au regard d’un internaute français ?

Une des grandes différences passe déjà dans l’usage d’Internet. C’est un pays comparativement aussi peuplé que la France, 67 millions d’habitants, et les thaïlandais passent en moyenne plus de 4 heures par jour sur internet. Mais surtout ils utilisent internet pour de l’échange humain, familial. Ce sont donc les réseaux sociaux qui les intéressent avant tout.

 

Et en ce qui concerne le ecommerce ?

L’achat en ligne est assez peu prononcé. Il y a surtout des sites vitrines de marques avec la fois un objectif de mise à disposition de l’information et de séduction de l’utilisateur. C’est un utilisateur très influencé par ce qui est visible, tout ce qui est campagne publicitaire. Campagnes radio, spots télé, opérations de branding… Ce sont ces leviers qui vont, prioritairement, influencer le choix de l’utilisateur, que ce soit dans l’assurance ou dans d’autres univers à fort enjeu financier (automobile, banque, habitation…).

Je dirais que, face à la publicité ou au marketing, l’utilisateur thaïlandais à un comportement similaire à celui d’un consommateur français des années 80. Sa maturité et sa réceptivité face aux messages publicitaires sont moins affûtées.

 

Est-ce qu’il n’y a pas aussi une différence culturelle qui entre en jeu ?

La différence culturelle vient surtout du fait que c’est un pays où il existe beaucoup d’échoppes par exemple dans les rues. La Thaïlande est un pays avec une forte tradition de commerces de proximité. Tout ce qui est proposé avec internet (la diminution du temps de livraison, le vaste choix de produits ou des tarifs négociés ) les intéresse assez peu, sauf dans le cadre d’échanges avec des amis, de la famille. C’est pour cette raison que le e-commerce n’est pas encore très développé, en tout cas le marché est moins mature qu’en Europe.

 

Donc le e-commerce n’est pas très développé parce que les consommateurs thaïlandais préfèrent aller directement dans les magasins ?

Oui, ils sont surtout dans une logique de proximité où tout se négocie. C’est un point important : chez les Thaïlandais tout se négocie. Donc tu rentres dans un magasin, tu négocies le prix quel qu’il soit. Même si c’est un centre commercial, tu négocies. Ils ont encore le réflexe de privilégier l’échange verbal, le face à face plutôt qu’Internet.

 

En quoi ces particularités culturelles impactent-elles la conception d’un site à destination de la Thaïlande ?

Sur la conception, webdesign notamment, on est vraiment confronté à un choc de deux mondes. Les Européens ont plutôt l’habitude des sites plutôt épurés, offrant une information assez succincte, des visuels propres et une navigation fluide. Les thaïlandais, eux, sont familiers de sites très denses, riches en informations, fortement colorés et avec des vidéos dans tous les sens, et au final, ils ont davantage un besoin de réassurance qu’un besoin de réponse à une question.

Et quand tu es une marque internationale qui vient dans un pays comme la Thaïlande, tu es obligé de composer entre cette culture locale et la mise en place des objectifs qui sont nécessaires à une image cohérente.

 

muang thai

 

L’internaute thaïlandais lambda va donc passer du temps sur le site s’il y a beaucoup de vidéos, d’animations… Donc il aime avoir un maximum d’infos ?

Il n’y passe pas beaucoup de temps, paradoxalement. Il aime vraiment surfer, en ce sens je pense qu’il ne passe pas plus de temps sur Internet qu’un internaute européen. Par contre, ce qui va l’intéresser, c’est effectivement tout ce qui va être flashy, des vidéos, donc il va consulter plus de vidéos et très peu lire. Ce n’est pas une culture de l’écrit mais une culture de l’oral. Ils ont donc besoin d’être rassurés par des éléments plutôt animés, car dans l’univers de l’assurance dès que ça devient technique ou trop dense, ils zappent et appellent un agent ou ils vont dans une concession ou une boutique. Par contre, ils ont la même capacité qu’en Europe à faire jouer les tarifs mais quand ils repèrent un tarif sur internet, ils vont dans les boutiques pour négocier un tarif inférieur. Parce que c’est dans leur mentalité. Ils savent qu’ils peuvent négocier et tout le monde joue le jeu.

 

Ce que tu as remarqué pour la Thaïlande, est-ce vrai pour d’autres pays de l’Asie ?

C’est vrai, je pense, en partie pour Hong Kong, à une différence près, c’est que Hong Kong est quand même plus occidentalisé que la Thaïlande donc ils ont une approche entre les deux ; c’est-à-dire qu’ils ne sont plus dans le besoin d’échange oral, ils ne sont plus dans des sites touffus mais ils ne sont pas non plus sur une conception très fluide…ils sont vraiment entre les deux en terme de maturité. En tout cas, je ne pense pas que chaque pays ait une vraie différence mais je pense qu’il y a des différences d’abord selon les secteurs.

 

Quelles sont les particularités de l’internaute thaïlandais en terme de culture digitale ?

Par exemple, sur la navigation mobile, sur des produits de services comme l’assurance, ils n’ont pas encore les réflexes bien ancrés des européens, par exemple d’aller chercher le petit menu en haut à droite stylisé (burger menu). Ils ne savent pas ce que ça veut dire. Ils sont tous sur smartphone mais ils l’utilisent pour les réseaux sociaux, pour aller sur des univers qui sont très cadrés mais quand ils vont sur des sites de marques, qui peuvent être très différents d’un univers à l’autre, ils n’ont pas toujours cette culture là [des interactions « naturelles »]. D’autre part, s’ils ont l’habitude de comparer les prix sur certaines catégories de produits (voyages, équipement de la maison, mode…), ils ne comparent pas sur des univers comme l’assurance ou la banque, car ce n’est pas encore dans leurs réflexes digitaux (remplir un devis en ligne par exemple).

Ils cherchent souvent surtout les numéros de téléphone. Ils ont besoin d’échanger, ça les rassure parce qu’ils n’ont qu’une relative confiance dans Internet, tout ce qui est transactionnel par exemple. Je pense qu’ils n’ont pas encore la culture du paiement en ligne parce que c’est pas dans leur habitude, parce qu’ils sont encore sur de l’achat de proximité.

Comme c’est quand même un territoire soumis aux régimes de l’inflation et de la déflation, ses habitants ont surtout confiance en leur banque. D’ailleurs c’est la banque qui fait souvent tiers de confiance, même pour les transactions internet parce qu’il est possible de s’y rendre pour payer sa transaction à la banque directement, grâce à un maillage important du réseau bancaire, comme il y avait en France il y a 25 ans.

En terme de design, ils sont très attachés à pouvoir s’identifier dans les photos et vidéos auxquelles ils sont exposés notamment sur les services. Habillez le site avec des visuels d’européens ou même d’asiatiques, par exemple chinois, et c’est le flop ! Les Thaïlandais sont très sensibles à cet aspect, ils ont réellement besoin de s’identifier pour adhérer. Mais c’est vrai des autres pays aussi.

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