Suite de notre série “Les OKR : plus facile à dire qu’à faire ?”. Après avoir introduit la définition des OKR (Objectives and Key Results) et leurs principes fondamentaux dans un précédent article, nous avons aujourd’hui le plaisir d’interviewer Sara Zineddine, Coach agile, pour son retour d’expérience sur le déploiement des OKR au sein de la banque mobile Fortuneo.

AX : Bonjour Sara, peux-tu te présenter en quelques mots ?

SZ : Je suis coach agile au sein de la banque mobile Fortuneo. J’ai rejoint l’entreprise il y a deux ans pour intégrer la nouvelle équipe en charge de la Transformation Organisationnelle. Directement rattachée à la Direction Générale, cette équipe est mandatée pour mettre en place l’agilité à l’échelle et accompagner la transition d’une “organisation projet” vers une “organisation produit”.

AX : Quelle est la genèse du projet d’OKR chez Fortuneo ?

SZ : Il s’agit d’un projet récent à l’échelle de l’entreprise, encore en cours de déploiement : la première itération a eu lieu l’an dernier. Au démarrage de notre programme de transformation, il y a 2 ans, nous avons réalisé un diagnostic de notre modèle organisationnel existant. Parmi les enseignements collectés, ce travail a mis en lumière le point de douleur suivant : les équipes de Delivery ne possédaient pas toutes une vision claire de la stratégie d’entreprise et leur interprétation de cette stratégie pouvait varier d’un service à l’autre. En étudiant les outils adaptés pour résoudre ce problème, nous avons rapidement identifié les OKR comme un levier pertinent. 

Nous avons ensuite organisé un meet up avec une experte spécialisée pour évangéliser l’entreprise en présentant la démarche des OKR à des collaborateurs de tous niveaux. Cette opération séduction a été une étape décisive pour embarquer les équipes et leur donner envie de tester l’approche. L’engouement suscité nous a conduit à lancer une expérimentation : nous avons réalisé une série d’ateliers avec des collaborateurs de différents départements de l’entreprise pour esquisser une première vision de ce à quoi pourraient ressembler des OKR Fortuneo.

Complétée par un travail d’évangélisation des différents directeurs, cette expérimentation a incité la direction à approfondir la démarche en lançant un véritable projet pilote. Nous avons demandé à deux équipes, en charge de notre site vitrine et de nos parcours de souscription, de travailler sur la définition de leurs OKR et de les présenter. Convaincue par le résultat, la direction a décidé de poursuivre en déployant les OKR sur l’ensemble de nos équipes de Delivery, choisies en priorité pour leur rôle clé dans l’organisation et la feuille de route “produit”.

AX : Comment s’est déroulée l’implémentation de ce programme ?

SZ : Au lancement, il y a moins d’un an, nous avons d’abord travaillé avec le COMEX pour l’accompagner dans la définition des OKR à l’échelle de l’entreprise. Nous avons ensuite déployé progressivement les OKR sur l’ensemble de nos 9 équipes de Delivery “produit” à partir de ces OKR corporate. 

Pour chaque équipe, le process a démarré par une séance de brief, afin d’embarquer les  collaborateurs, puis a donné lieu à un premier atelier d’idéation afin de poser sur le papier un premier jet d’OKR. Puis plusieurs boucles d’itérations entre les équipes, leurs managers et leurs parties prenantes clés ont permis d’affiner et de valider ce premier travail : ces aller-retours ont été nécessaires pour vérifier les dépendances et les contraintes induites par les OKR proposés et s’assurer de la cohérence globale des ambitions affichées. 

Une fois les OKR finalisés, chaque équipe à été invitée à les présenter à l’ensemble de l’entreprise en séance de ‘PI Planning’ trimestrielle [NB : réunion périodique de priorisation dans les méthodes d’agilité à l’échelle, qui dans le cas de Fortuneo est librement inspiré du framework SAFe]. En effet, il était important pour nous de synchroniser ces nouvelles pratiques avec nos rituels agiles déjà en place pour les pérenniser au sein de l’entreprise. Aujourd’hui d’ailleurs, les équipes les plus à l’aise ont intégré la revue de leurs OKR à leurs Sprint Reviews [NB : rituel de présentation des travaux effectués, au terme d’un sprint, dans les projets agiles].

Cette première vague de déploiement s’est concentrée sur la définition des OKR et sur la prise des nouvelles habitudes associées. Il nous reste maintenant à accompagner les collaborateurs dans le suivi des OKR et à installer de façon pérenne la pratique des bilans. Cette étape est en cours mais demande des efforts soutenus.

AX : Quels défis avez-vous rencontrés ?

SZ : Dans la mise en place de ce programme, nous avons essentiellement rencontré des obstacles de trois ordres : culturels, techniques et organisationnels.

Des défis culturels d’abord. Par exemple, dès la phase de définition des OKR, nous avons identifié le besoin d’accompagner les équipes pour évoluer d’une culture traditionnellement plutôt orientée Delivery, souvent focalisée sur la production de features et la gestion de projet, vers une culture de l’impact business et client : quelle valeur ma feature apporte-t-elle ? Au client ? En termes de revenus ? Comment puis-je la mesurer ou l’estimer ? 

Tous les collaborateurs n’étaient pas à l’aise avec la dimension « stretch » des OKRs. Plutôt habitués à des objectifs à atteindre à 100%, ils hésitaient à afficher des ambitions allant au-delà de leur zone de confort. Enfin, nous avons dû porter un soin particulier à l’embarquement des équipes de développement, pour faire jouer un rôle plus proactif à des collaborateurs qui n’avaient pas l’habitude d’être consultés de cette façon. Certaines d’entre elles se sont demandées si c’était dans leur rôle de prendre ce recul-là, imaginant que cette réflexion relevait du périmètre du Product Owner.

Dans les phases ultérieures de la démarche, nous avons également eu des difficultés à faire vivre les OKR au fil du temps et à construire des habitudes pérennes. Si nombre d’équipes sont séduites au début, animer et relancer les équipes pour qu’elles suivent assidûment les OKR et continuent à utiliser l’outil demande beaucoup d’énergie. Par ailleurs, dans le suivi, nous avons aussi identifié le besoin de développer une culture de l’amélioration continue et de l’actionnabilité : comment traduire les analyses des performances passées en recommandations d’amélioration actionnables pour l’avenir ? Par manque d’habitude, les équipes n’ont pas toujours le recul nécessaire pour mettre en place des corrections. 

Nous avons également rencontré des défis plus techniques ou opérationnels. Au départ, nous ne disposions pas toujours des bons flux de données pour la mesure des OKR définis. Certains d’entre eux ne pouvaient pas être mesurés immédiatement. Nous avons aussi été amenés à écarter certains des KR ou indicateurs choisis initialement, car nous nous sommes aperçus à l’usage qu’ils varient assez peu au fil du temps et sont donc moins pertinents qu’escompté.

Mais le plus grand défi que nous avons eu à relever est organisationnel. Parfois les OKR entrent en concurrence, voire en conflit, avec d’autres principes de priorisation coexistants au sein de l’entreprise. Différents contextes (échéances réglementaires, plans d’intéressement, demandes du groupe auquel nous appartenons…) peuvent amener les équipes à dé-prioriser ou ajourner temporairement la poursuite de leurs OKR, par exemple le temps d’un trimestre.

AX : À date, quels sont les bénéfices de la démarche ?

En définissant les OKR au niveau de l’ensemble de l’entreprise et en les diffusant, nous avons déjà rempli notre objectif de départ qui était d’aligner les équipes autour d’une vision et d’une trajectoire commune, conformément au “pain point” identifié lors de notre audit organisationnel. Nous avons aussi noté la satisfaction et l’engouement des équipes qui ont participé à la démarche. Ces dernières sont désormais convaincues de l’aide que peut leur apporter cet outil. Les travaux menés ont amené nombre d’entre elles à prendre du recul sur leur activité et sur ce qu’elles cherchent à accomplir. Les OKR sont désormais un repère sur lequel elles reviennent quand elles ont des questions sur leur roadmap ou leur backlog.

AX : A la lumière de ce premier déploiement des OKR, quels facteurs de succès retenez-vous ?

Comme dans tout projet de transformation, l’implication de sponsors de haut niveau, et plus globalement des équipes de management, est capitale pour initier la dynamique et assurer l’engagement des collaborateurs.

Ensuite, il est important de faire preuve de pédagogie et de souplesse avec les équipes pour les embarquer. La démarche ne peut fonctionner qu’en reposant sur leur propre motivation et leur proactivité. Aussi, il ne faut pas brusquer les collaborateurs. On ne peut pas leur imposer la démarche par la contrainte. Ils doivent être convaincus de son intérêt. Et il faut leur donner suffisamment de latitude pour leur permettre d’avancer à leur rythme. Nous avons par exemple laissé dans un premier temps les équipes choisir avec quelles audiences et quel niveau de publicité elles souhaitaient partager leurs premiers travaux sur leurs OKR.

La démarche requiert également un travail sur la culture. Nous avons accompagné nos équipes pour les aider à développer ou parfaire une culture de l’impact qui n’est pas naturelle pour tout le monde. Comment passer d’un questionnement sur le “quoi” et le “comment” des activités (comment produire sa fonctionnalité en temps et en heure ?) à un questionnement sur le “pourquoi” (quelle expérience pour augmenter la valeur client et les revenus ?). Comment renforcer sa culture de la donnée et de la mesure de la performance ? Comment appréhender ma roadmap comme une série d’hypothèses à tester sur la valeur business de mon produit ?

Il faut aussi s’assurer qu’une organisation robuste de la data – de la collecte au partage en passant la consolidation et l’analyse – donne aux collaborateurs les moyens de mesurer et de suivre leurs Key Results.

Un des facteurs de succès majeurs est sans doute le travail d’intégration et d’anticipation pour mettre en cohérence l’organisation. Pour pérenniser les nouvelles pratiques liées aux OKR, il est préférable de les intégrer autant que faire se peut aux rituels pré-existants dans l’organisation, au lieu de superposer de nouveaux process à ceux déjà en place. Nous avons par exemple décidé de synchroniser notre travail sur les OKR avec nos rendez-vous de Sprint Review, de PI Planning et de priorisation de roadmaps. Nous essayons aussi d’anticiper au maximum, par un travail préparatoire, les éventuels conflits ou contradictions entre les objectifs et les principes de priorisation pour renforcer encore la cohérence.

AX : Si tu devais refaire l’exercice que changerais-tu ?

Nous avons fait le choix, pour diverses raisons propres à notre organisation, de déployer les OKR d’un coup sur toutes les équipes de Delivery, et ce travail est encore en cours. Si c’était à refaire, j’essaierais peut-être de déployer la démarche jusqu’au bout du process sur une seule équipe, avant de la déployer sur le reste de l’entreprise, pour avoir un retour d’expérience plus complet.

En cours de déploiement, nous nous sommes également rendus compte de l’importance cardinale du sponsorship (comme indiqué plus haut à la question sur les critères de succès). Si c’était à refaire, nous aurions passé plus de temps avant le déploiement sur une phase de pédagogie pour davantage embarquer les directeurs et managers, et nous assurer qu’ils incarnent l’esprit de la démarche en amont du déploiement. 

Nous aurions également sollicité le support des membres du COMEX pour que chacun d’entre eux porte les KR reliés aux objectifs impactant fortement leurs directions respectives. Ceci nous aurait permis un meilleur suivi de l’évolution des KR au cours de l’année. 

Nous aurions également dû faire ce travail de pédagogie et d’embarquement des équipes data pour obtenir un calcul et un suivi des OKR stratégiques.

 

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