Dans le monde du développement logiciel, l’estimation des tâches a été une pratique courante depuis des décennies. Avec l’essor des méthodes agiles, une nouvelle approche, connue sous le nom de non-estimation, gagne en popularité. Cet article se propose d’explorer cette dernière en prenant en compte les aspects d’organisation, gestion et coût de travail pendant le cycle de développement.

Définition du système classique des projets informatiques

Historiquement, le développement logiciel s’appuyait sur des modèles en cascade ou séquentiels, où chaque phase du projet était clairement définie et devait être terminée avant de passer à la suivante. Les estimations jouaient un rôle clé pour déterminer la durée et le coût de chaque phase, offrant aux entreprises une prédiction budgétaire et temporelle.

Les + de l’agilité

L’agilité transforme la manière dont les équipes abordent le développement logiciel. Plutôt que de suivre un plan strict, l’agilité prône :

  • Adaptabilité : Réagir aux changements plutôt que de suivre un plan strict.
  • Livraisons fréquentes : Produire des versions fonctionnelles du logiciel à intervalles réguliers.
  • Collaboration : Promouvoir la communication entre les développeurs, les parties prenantes et les clients.

 

La Non-estimation

La non-estimation “No-Estimate” est une philosophie au sein de l’agilité qui questionne la valeur réelle des estimations. Plutôt que de consacrer du temps à prédire combien de temps une tâche prendra, les équipes se concentrent sur la réalisation effective de cette tâche.

Avantages de la Non-estimation
  • Gain de temps : Élimine le temps passé en sessions d’estimation.
  • Flexibilité : Permet d’apporter des changements sans les tracas des ré-estimations.
  • Focus sur la valeur : Les équipes sont libres de se concentrer sur les tâches à haute valeur sans être contraintes par des estimations.
Inconvénients de la Non-estimation
  • Moins de prévisibilité : Les entreprises ont moins de visibilité sur les délais et les coûts finaux.
  • Défis de planification : Il peut être difficile d’allouer des ressources sans estimations claires.
  • Résistance culturelle : Les parties prenantes habituées aux méthodes traditionnelles peuvent trouver cette approche déstabilisante.
Techniques de Non-estimation

La non-estimation ne signifie pas simplement l’absence d’estimation, mais plutôt l’adoption d’approches alternatives pour gérer le développement. Voici quelques techniques couramment utilisées dans la non-estimation :

  • Travailler avec des unités de taille similaire : Au lieu d’estimer le temps qu’il faudra pour compléter une tâche, l’équipe décompose le travail en petites unités qui prennent approximativement le même temps à réaliser. Cela réduit la variabilité et rend le processus plus prévisible.
  • Priorisation par la valeur : L’équipe se concentre sur la livraison de fonctionnalités basées sur leur valeur pour le client ou l’entreprise, plutôt que sur le temps qu’elles pourraient prendre.
  • Cadence fixe : Les équipes livrent le travail à un rythme régulier, par exemple toutes les deux semaines, indépendamment de la quantité de travail achevée.
Le management avec la Non-estimation

La transition vers une approche de non-estimation a des implications significatives sur la gestion d’une équipe et d’un projet:

  • Culture de confiance : Adopter la non-estimation exige une grande confiance envers les équipes de développement. Les managers doivent croire que l’équipe livrera de la valeur sans avoir une estimation chiffrée de chaque tâche.
  • Communication renforcée : La non-estimation nécessite une communication transparente avec les parties prenantes. Les managers doivent être clairs sur ce qui est en cours de réalisation, ce qui est terminé, et ce qui est prévu ensuite.
  • Réévaluation constante : Plutôt que de s’en tenir à un plan défini à l’avance, les managers doivent être prêts à réévaluer et à re-prioriser régulièrement en fonction des besoins changeants et des retours.
  • Formation et mentorat : Pour les équipes habituées aux méthodes traditionnelles d’estimation, la transition peut être difficile. Les managers doivent offrir une formation et un soutien pour aider les équipes à s’adapter.
  • Gestion des attentes : Sans estimations précises, les parties prenantes peuvent se sentir dans le flou. Il incombe aux managers de gérer ces attentes et de fournir une vision claire de la progression du projet.

 

En fin de compte, l’aspect managérial de la non-estimation repose sur une combinaison de confiance, de communication et d’adaptabilité. Alors que certains managers peuvent trouver cette approche déstabilisante au début, d’autres y voient une opportunité d’éliminer des inefficacités et de se concentrer sur la production de valeur.

Gestion du cycle de développement dans une approche de Non-estimation

L’adoption d’une méthode de non-estimation influence considérablement l’organisation et la dynamique des équipes de développement. Voyons comment cela se manifeste concrètement :

Equipes Autonomes 
  • Sans le besoin de s’aligner constamment sur des estimations, les équipes peuvent opérer avec une plus grande autonomie.
  • Les développeurs sont responsabilisés pour prendre des décisions basées sur la valeur et l’importance des tâches, plutôt que sur une estimation temporelle.
Découpage des Tâches 
  • Dans un modèle de non-estimation, il est essentiel que les tâches soient découpées en unités de travail gérables.
  • Cela permet aux développeurs de progresser rapidement et de fournir des retours réguliers sans être entravés par des tâches volumineuses ou ambiguës.
Focus sur la Valeur 
  • Les développeurs sont encouragés à se concentrer sur des éléments qui apportent la plus grande valeur au produit final.
  • Cela peut nécessiter une compréhension plus approfondie des besoins des utilisateurs et des objectifs commerciaux, faisant des développeurs des partenaires plus stratégiques dans le processus.
Retours Continus 
  • Sans les contraintes des cycles d’estimation, les développeurs peuvent solliciter et intégrer des retours plus fréquemment; que ce soit de la part d’autres membres de l’équipe, d’utilisateurs ou de parties prenantes.                                                                                                 
Collaboration Améliorée 
  • La non-estimation favorise une culture où la collaboration est primordiale.
  • Les équipes de développement peuvent travailler plus étroitement avec des domaines tels que le design, le marketing, et les ventes pour assurer que le produit développé répond aux besoins du marché.
Cadence Stable 
  • Les développeurs travaillent dans des cycles réguliers, permettant une cadence de livraison prévisible, même si le contenu exact de chaque livraison peut varier.

Il est important de noter que bien que la non-estimation puisse offrir une plus grande flexibilité et autonomie aux développeurs, elle exige également une plus grande responsabilité et une communication ouverte. Les équipes doivent être soudées, avoir une compréhension claire des priorités et être prêtes à s’adapter aux besoins changeants du projet ou de l’entreprise.

 

Mesure de la productivité d’une équipe et KPIs dans le cadre de la Non-estimation

Lorsque l’on se déplace d’un paradigme d’estimation à une approche de non-estimation, il devient crucial de repenser la manière dont nous mesurons la productivité et le succès d’une équipe. Voici quelques indicateurs clés de performance (KPIs) adaptés à la non-estimation :

Valeur Livrée 
  • Au lieu de mesurer combien de temps une tâche prend, se concentrer sur la valeur qu’elle apporte.
  • Ce KPI peut se baser sur des retours utilisateurs, des métriques d’utilisation ou d’autres indicateurs de la valeur ajoutée d’une fonctionnalité.
Taux de Livraison 
  • Même sans estimations, il est possible de mesurer le nombre d’éléments ou de fonctionnalités que l’équipe livre dans un cycle donné.
  • Cela fournit un aperçu de la cadence de l’équipe.
Satisfaction du Client 
  • Les retours des clients sont essentiels. Mesurez la satisfaction par des enquêtes, des entretiens ou des analyses d’utilisation.
Qualité du Code 
  • Le nombre de bogues ou de problèmes remontés après une livraison peut donner une indication de la qualité du travail.
  • Un code de haute qualité signifie moins de temps passé sur la maintenance et les correctifs.
Temps de Cycle 
  • Bien qu’il n’y ait pas d’estimations, le temps de cycle – le temps nécessaire pour passer d’une idée à une fonctionnalité livrée – est toujours pertinent.
  • Il donne un aperçu de l’efficacité du processus de développement.
Santé de l’Équipe 
  • La mesure du bien-être et de la satisfaction de l’équipe est essentielle. Une équipe motivée et satisfaite est souvent plus productive.
  • Utilisez des rétrospectives, des enquêtes ou des entretiens pour évaluer cet aspect.
Adaptabilité 
  • Mesurez la capacité de l’équipe à pivoter ou à changer de direction en fonction des besoins du projet ou des retours.
  • Cela pourrait être basé sur le nombre de changements incorporés dans un cycle par rapport aux suggestions ou aux retours reçus.

Mesurer la productivité dans un environnement de non-estimation exige une approche centrée sur la valeur et l’impact plutôt que sur les heures passées. Les KPIs doivent être conçus pour capturer l’efficacité, la qualité et la réactivité de l’équipe, tout en tenant compte de la satisfaction des parties prenantes, y compris l’équipe elle-même.

 

Conclusion

L’univers du développement logiciel est en constante évolution, et avec lui, les méthodologies et approches qui guident les équipes dans la réalisation de leurs projets. La comparaison entre la méthode classique d’estimation et la non-estimation a montré qu’il n’y a pas de « taille unique » lorsqu’il s’agit de gestion de projet. Chaque méthode a ses avantages et inconvénients, ses fervents défenseurs et ses sceptiques. 

L’estimation, avec ses prévisions et ses chronologies, offre une vision structurée et rassurante pour de nombreuses parties prenantes. Elle est ancrée dans des années de pratique et donne un sentiment de contrôle sur les coûts et les délais. Toutefois, elle est également assujettie à des erreurs, et sa rigidité peut parfois entraver l’agilité et l’innovation. 

D’autre part, la non-estimation, avec son accent mis sur la valeur, l’adaptabilité et la responsabilisation des équipes, offre une bouffée d’air frais à ceux qui se sentent contraints par les méthodologies traditionnelles. Elle remet en question le statu quo et demande aux équipes de repenser la manière dont elles définissent et mesurent le succès. Toutefois, cette approche nécessite une grande confiance, une communication solide et un engagement envers une vision partagée. 

Du point de vue managérial, la transition vers la non-estimation peut sembler audacieuse. Elle demande de cultiver une culture de confiance, d’encourager l’autonomie des équipes et de se concentrer sur des KPIs qui mesurent la valeur réelle plutôt que les simples métriques de production. 

En fin de compte, le choix entre l’estimation et la non-estimation dépend des spécificités de chaque entreprise, de chaque équipe et de chaque projet. Ce qui est crucial, c’est un engagement envers la livraison de valeur, la satisfaction du client, la croissance et le bien-être de l’équipe. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise approche. Il faut tenir compte des avantages et des inconvénients de chacune d’entre elles en considérant les besoins et les objectifs uniques de chaque situation.

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