«Une interface utilisateur, c’est comme une plaisanterie. Si vous devez l’expliquer, c’est qu’elle est ratée.»
Le mot est attribué à Martin Leblanc, fondateur de la marketplace danoise Iconfinder. Une autre façon très concise de définir l’UX design, dans le monde physique, pourrait être l’évolution de la bouteille de ketchup Heinz : on l’a «tout simplement» retournée, pour éviter au consommateur d’attendre que le ketchup ne descende vers le goulot. Ou encore cette image, que vous avez peut-être vue passer sur Linkedin, d’un sentier «naturel» créé par les passants à force de couper court entre deux routes perpendiculaires : si le tracé initial est mal conçu, nul ne s’embarrasse à l’emprunter.
Ces trois illustrations de l’UX ont deux points communs, qui illustrent toute la difficulté de la discipline : d’abord, elles mettent en valeur un côté «évident» du produit réussi… Tellement évident qu’on pourrait penser que l’UX relève du simple bon sens. Or, l’UX n’est pas une discipline facile. Elle repose sur des outils et méthodes scientifiques, et surtout pas sur un ressenti personnel ou une intuition. Autre point commun : la comparaison de Martin Leblanc, l’image du ketchup et celle du sentier soulignent toutes que lorsqu’une interface UX est réussie, elle sait se faire oublier : elle devient invisible. L’UX design est donc une discipline ingrate : si vous êtes bon, cela ne sautera pas aux yeux. Mais le succès peut se mesurer (ouf !) et ce, grâce à des indicateurs très concrets, que nous aborderons dans le troisième chapitre de cet ouvrage.
Les promoteurs de l’UX (qu’ils aient décroché un titre officiel ou œuvrent en faveur de l’UX dans bien d’autres postes transverses, variant du marketing à l’IT), font face à une même nécessité : celle de convaincre et de constamment ramener leurs collègues ou managers vers le sujet : c’est-à- dire vers le client ou prospect.
LANCER DES PROJETS-PILOTES
«L’UX est au croisement de trois voix, rappelle Olivier Wolton, directeur-conseil UX chez Axance : technologie, business et utilisateurs. Mais souvent le responsable UX n’est pas perçu comme tel. Il nous faut donc rappeler que son rôle ne consiste pas uniquement à la prise en compte des besoins Utilisateur. Il doit faire preuve de souplesse pour s’adapter à son écosystème : sa tâche sera plus ou moins facile en fonction de l’implication de la direction, de la maturité des équipes, de la culture de l’entreprise, de ses priorités, budgets et organisation…»
LES PORTES DE NORMAN
L’expérience utilisateur est la clef de voûte de l’entreprise, le ressort principal de sa réussite. «?Elle doit être satisfaisante – et dans l’idéal remarquable – tout en tenant les promesses de la marque, reprend Olivier Wolton. Ce sujet implique tout autant la DSI que le marketing ou la DG. L’UX devrait être Inscrite dans la ligne stratégique de l’entreprise et pleinement intégrée au processus d’innovation.»
Nous devons la première occurrence du terme «expérience utilisateur» à Donald Norman, diplômé du MIT en ingénierie électrique et informatique, puis spécialisé dans les sciences cognitives. L’auteur du livre Design Of Everyday Things travaillait en 1995 chez Apple et c’est à ce moment-là qu’il a choisi d’inscrire sur ses cartes de visite : «User experience Architect».
Le même homme, dans son livre-référence daté de 1988 qui n’a rien perdu de sa pertinence, a pris en exemple les portes : «Pousser ou tirer ? Parfois, face à certaines portes, et même après des années, nous faisons pertinemment le mauvais choix, résumait le magazine Courrier International en février dernier. Mais il y une explication à notre obstination, donnée par Don Norman. Ce conflit avec les portes, ce n’est pas la faute de l’homme. C’est la faute des portes.» L’exemple a donné lieu à l’expression «une porte de Norman» pour faire référence à un produit mal conçu.
Votre entreprise est-elle mature sur le sujet de l’UX ? Pour en juger, vous pouvez la positionner sur la pyramide de l’expérience d’Alexander Dawson, inspirée de la pyramide des besoins de Maslow, sachant que le haut de la pyramide est rarement atteint par les marques…
S’ADAPTER À L’ÉCOSYTEME INTERNE
Désiloter, convaincre en interne, mieux utiliser les données, instaurer plus d’agilité et favoriser l’innovation. Le responsable UX ne manque pas de défis à relever. «L’expérience utilisateur est dans tous les esprits, a confirmé l’équipe d’Axance. Selon une étude menée aux États-Unis par Econsultancy auprès de 1 400 dirigeants d’entreprises de produits digitaux et de commerce électronique, elle permet d’augmenter les ventes et le taux de conversions pour 74% des répondants ; elle contribue à accroître la satisfaction des clients (72%) et elle est essentielle au processus de fidélisation (44%).»
Dans le secteur bancaire, loin des pure players, le Crédit Mutuel Arkea par exemple s’est donné les moyens d’améliorer l’expérience client. «Le Lab, créé en décembre 2015, est un portail collaboratif à disposition des salariés, qui peuvent y proposer leurs bonnes idées, orientées client, expliquait Frédéric Laurent au Petit Web en avril dernier. Chaque trimestre, un comité innovation présidé par notre DG choisit les idées à creuser. Nous avons aussi ouvert ce Lab à un panel d’une centaine de clients, avec l’objectif d’en avoir rapidement 250 : ils représentent nos 3 millions de clients et nous permettent de co-construire les produits de demain. Nous y avons notamment testé une nouvelle manière de faire des virements.»
UN ENJEU CROSS CANAL
Les responsables UX craignent très souvent de n’avoir pas beaucoup de «preuves» à mettre sur la table en matière de ROI. Cette appréhension est d’autant plus forte que la problématique UX ne porte pas seulement sur le digital : par nature, elle est cross-canal. Le monde physique ne devrait pas décevoir par rapport à l’expérience vécue en ligne, et vice-versa. Mais les deux environnements sont souvent portés par des équipes distinctes.
«En travaillant sur plusieurs canaux différents, nous sommes, sur chaque canal, en concurrence avec des acteurs différents, ont relevé les membres de la Task Force. Nous rencontrons des problématiques d’intégration de la proposition de valeur à l’existant, des problématiques de stratégie éditoriale (avec des contenus très différents) et des problématiques de collecte de données et de mesure.»
Parmi les leviers évoqués pour s’affranchir de ces difficultés : «business plan, benchmark, tests utilisateurs (pour que chacun comprenne, sur son levier, qu’il ne “ joue plus tout seul ”), focus groupes…. Il faut écouter la voix du client. En multicanal, on a des canaux qui montent et d’autres qui descendent, or il nous faut montrer un ROI global, pour valider la démarche transversale», ont conclu les membres de la Task Force.
Extrait du livret Expérience Clients réalisé par Axance et L’EBG, avec la contribution notamment de Florence Delplanque-Boulenger. Novembre 2016