Le numérique est loin d’être aussi propre que le suggère le design élégant de nos smartphones. Il est responsable de 4 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, soit davantage que le transport aérien. Pour autant, il constitue aussi une formidable opportunité pour réduire l’impact des autres secteurs – 96% des émissions mondiales. Comment donc réduire notre part, sans freiner les innovations positives d’un point de vue environnemental et social ? La phase de fabrication des matériels étant la plus consommatrice (elle représente 74% de la consommation d’eau et 76% de la contribution à l’épuisement des ressources abiotiques liées à l’équipement des utilisateurs) et la plus productrice de déchets – dont 80% ne sont pas recyclés – la priorité est de prolonger leur durée de vie. Et donc de repenser toute la conception et l’utilisation des appareils…et des applications qu’ils embarquent.

L’éco-conception au service de l’inclusion numérique

Nous mettons rarement au rebut nos téléphones (et autres appareils) parce qu’ils sont cassés ou inutilisables, mais parce qu’ils ne sont plus capables de faire tourner les nouvelles versions des OS et des applications. Bien qu’en parfait état, ils n’offrent plus la vitesse et la fluidité d’une expérience utilisateur satisfaisante. Cette obsolescence accélérée pousse les utilisateurs à renouveler très régulièrement leurs appareils, et donc à une surconsommation, entraînant une surexploitation des ressources naturelles, une surproduction de déchets, la pollution de l’eau, des sols et de l’air. En plus de ses conséquences néfastes sur l’environnement, l’obsolescence accélérée renforce les inégalités. Beaucoup n’ont pas les capacités financières ou les compétences pour changer fréquemment d’appareil. Ils ne peuvent suivre le rythme des renouvellements imposés, ce qui aggrave donc la fracture numérique.

À l’inverse, en cherchant à produire un code suffisamment léger et universel pour qu’il puisse fonctionner correctement et durablement sur le parc matériel actuel, on peut enclencher un cercle vertueux. Avec des logiciels moins gourmands en ressources, on réduit la consommation d’énergie à l’usage. Il devient également moins nécessaire de changer d’appareil et on peut plus facilement s’équiper de modèles basiques ou reconditionnés. Autrement dit, en minimisant l’empreinte environnementale des développements, on contribue aussi à toucher un maximum de personnes, sans discrimination de capacités physiques, de niveau d’éducation ou de moyens financiers. Éco-conception et inclusion numérique sont donc indissociables, et doivent être abordés conjointement dans une logique de Design responsable.

Le rôle des entreprises

Idéalement, ce thème devrait figurer dans un volet numérique de la politique RSE (Responsabilité sociale des Entreprises) car c’est à ce niveau que se jouent les principaux enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Ceci permettrait de prendre des mesures à l’échelle de la DSI (Direction des Services d’Information), comme l’optimisation des frameworks de développement utilisés, et d’établir des règles éco-responsables pour l’ensemble des projets, comme l’utilisation de polices de caractère standard. Dans la pratique, peu d’entreprises affichent un tel niveau de maturité, et le sujet est traité au coup par coup, au sein des projets. Au contraire, la tendance est plutôt à l’innovation et la réalisation de prouesses technologiques…souvent très gourmandes en énergie.

La voie vers l’éco-conception

Il n’existe à ce jour aucune méthodologie complète d’éco-conception, mais des référentiels ou des guides qui fournissent un certain nombre de recommandations. C’est le cas, en France, du Référentiel pour l’Amélioration de l’Accessibilité des Applications (RGAA), édité par la DINUM, ou du Guide de référence de la conception responsable de l’Institut du numérique responsable (INR). 

Les développeur·euses sont notamment encouragés à éviter le code inutile, à n’utiliser JavaScript qu’en cas de nécessité, à limiter les requêtes sur les bases de données, à réduire le nombre et le volume des téléchargements… Bref, à minimiser de toutes les manières possibles la consommation de ressources (CPU, mémoire et bande passante). 

Quant aux designers, ils doivent créer des parcours plus simples, privilégier la sobriété et la clarté des mises en page, et prendre de nouveaux réflexes, comme dégrader les images tant que cela reste imperceptible à l’œil. Autant de bonnes pratiques quasiment indolores pour la productivité mais qui, additionnées, offrent des gains appréciables sur le poids des pages ou la performance de l’application.

Il ne faudrait cependant pas réduire l’éco-conception à une accumulation d’astuces techniques. C’est une démarche globale, dont il faut clairement énoncer l’objectif dès le départ : l’enjeu est d’offrir la meilleure expérience possible à TOU·TES les utilisateur·ices, y compris ceux qui n’ont pas un appareil dernier cri ou un réseau ultra-performant. 

La première chose est donc de s’interroger sur le profil des utilisateurs, leur équipement, les contextes d’utilisation… Par exemple, il sera inutile de prévoir un affichage réactif si l’application doit être utilisée par des technicien·nes tou·tes équipé·es de la même tablette. En revanche, sur le terrain, iels ne bénéficieront peut-être pas d’une réception de bonne qualité et il faudra minimiser les échanges. 

La personne chargée du projet doit ensuite s’assurer que ces préoccupations seront prises en compte par tou·tes et de façon cohérente tout au long du projet. Inutile de gagner quelques ko d’un côté si, d’un autre, on charge des images de plusieurs Mo ! Enfin, il faudra veiller à ce que les efforts initiaux ne se perdent pas au fil des mises à jour et des évolutions, qui ont tendance à alourdir le code.

Les collaborateur·ices, fer de lance d’une nouvelle culture tournée vers l’éco-conception

L’éco-conception est donc un effort collectif de longue haleine. Il nécessite une implication de tou·tes les acteur·ices, qu’il convient de sensibiliser et de former en amont. Mais si les organisations peinent encore à en faire une politique globale, on constate que les collaborateur·ices, en quête de sens dans leur travail, y sont très réceptifs, et qu’ils peuvent être les agent·es d’un changement venu du terrain. 

Les parties prenantes des projets ont donc un rôle essentiel à jouer pour diffuser l’éco-conception. Ce sont elleux qui s’emparent du sujet, qui embarquent leurs équipes, et qui pourront démontrer que produire des logiciels éco-conçus ne présente que des avantages. L’optimisation du code et des échanges de données améliorent les performances, comme le préconisent des entreprises comme Google avec leurs outils d’évaluation et d’optimisation de la performance. Il y a moins de bugs, et les utilisateur·ices bénéficient de pages plus lisibles et qui se chargent plus vite. 

Enfin, plus on soigne l’accessibilité, plus on touche d’utilisateur·ices. Pour ne prendre qu’un exemple, quelle entreprise ne compte aucune personne myope parmi ses employé·es ou ses client·es ? Il en résulte mécaniquement une amélioration du taux d’utilisation, du taux de conversion, et donc du chiffre d’affaires. 

À condition d’y avoir pensé dès le départ, tous ces éléments se mesurent. Ces KPI sont autant d’arguments pour convaincre du bien-fondé de la démarche et inciter l’entreprise à généraliser ces bonnes pratiques.

 

 

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